C’est peut-être le moment de changer de carrière pour certains.
À l’aube de la légalisation du cannabis, la valeur de l’herbe a spectaculairement chuté. En deux ans, le prix du gros de certaines variétés a baissé de moitié, selon des revendeurs. Tellement qu’ils se demandent s’ils ont un avenir dans le domaine. Pour mieux comprendre ce qu’il adviendra du marché noir après le 17 octobre, VICE est allé à leur rencontre.
Attablé à un café des Laurentides, Julien* semble un peu découragé lorsqu’il parle de ses options dans « l’industrie » du cannabis. Il se considère comme un « bougeur », soit l’intermédiaire entre le cultivateur et le revendeur qui fournit le consommateur. Chaque semaine, il « fait bouger » plusieurs dizaines de livres.
« Les prix ont tellement planté et je ne pense pas que ça va remonter, dit-il. Difficile de continuer à ce train-là. Depuis deux ans, on a perdu la moitié de la valeur sur le marché noir. Il y a tellement de concurrence, estie, que ça devient difficile. »
Julien remarque que le nombre de vols a quant à lui augmenté, puisque la production est de moins en moins rentable. Ça lui est d’ailleurs arrivé cet hiver. « Ils m’ont busté mon argent, mon cannabis séché et mes extractions. J’essaie de trouver autre chose à faire en ce moment, parce que c’est particulièrement dur de se rebâtir ces temps-ci. J’ai notamment investi dans de l’immobilier. »
Rencontré dans le Sud-Ouest de Montréal, Robert gère une opération de livraison qui emploie huit personnes. Il estime vendre une dizaine de livres par semaine. Pour l’instant, il s'accommode très bien de la valeur du cannabis sur le marché parce que, si le prix du gros a beaucoup baissé, le prix de détail dans la rue, lui, demeure stable. « Ça me coûte moins cher qu’avant pour une livre et je vends toujours 3,5 g autour de 25 $, dit-il. C’est donc positif! »
Jesse, un autre « bougeur » du quartier Hochelaga-Maisonneuve, souligne toutefois que le prix de gros de certaines variétés de cannabis de haute qualité est toujours très élevé. « Le prix du pot de marde a baissé, c’est clair, mais le bon weed coûte encore super cher. Mais, encore là, pour moi, la marge de profit est petite. Il y a tellement de concurrence aujourd’hui. Il m’est arrivé d’acheter des livres à 1700 $ que je revendais à 1800 $. »
Statistique Canada, qui sonde de manière anonyme des consommateurs sur internet, a aussi remarqué une chute constante des prix. « On estime que, depuis 1990, le prix du cannabis consommé à des fins non médicales a baissé en moyenne de 1,7 % par année, pour atteindre environ 7,50 $ le gramme en 2017 », peut-on lire dans l’étude Compte économique sur le cannabis, 1961 à 2017. Durant la même période, l’indice des prix à la consommation a quant à lui augmenté de 1,9 % par année.
Économiste spécialisé en agriculture et professeur de management à l’Université Laval, James Eaves a étudié la question et confirme que les prix au Canada ont chuté considérablement au cours de la dernière année, en raison d’une augmentation de l’offre couplée à une baisse de la répression. « J'estime que les producteurs légaux ont actuellement une capacité qui dépasse de loin les estimations de la demande totale intérieure. Nous avons assisté à la même chose dans les États américains qui ont légalisé : à mesure que la légalisation approchait, les prix chutaient rapidement. »
M. Eaves fait aussi le constat que certains produits plus haut de gamme du cannabis prennent de la valeur, comme les variétés plus rares, mais également les produits transformés. « Aux États-Unis, les consommateurs ont vraiment aimé ces innovations de produits et il y a eu des pénuries, explique-t-il. La demande était donc encore élevée par rapport à l'offre. Mais au Canada, au lendemain de la légalisation, il n'est pas clair si nous assisterons à ce modèle parce qu'il y a tellement de règlements concernant les produits transformés. Actuellement, les producteurs ne peuvent vendre que de l’huile et des fleurs séchées. »
Seul l’avenir nous dira si le marché noir survivra à la légalisation attendue le 17 octobre, mais l’expérience américaine nous indique que quatre ans après la fin de la prohibition au Colorado et dans l’État de Washington, la vente illicite est loin d’être éradiquée. « Qui va gagner va être déterminé par les taxes, la rigueur de la réglementation et la répression contre les producteurs et les détaillants illégaux », avance James Eaves.
* Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes citées.
Simon Coutu
Source: vice.com
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