Ils fument tous les jours, mais pas pour être «stone». Souvent seuls, dans le confort de leur foyer. Ce qui ne les empêche pas forcément de conduire sous l'influence du cannabis. Comment des consommateurs de longue date voient-ils le débat sur la légalisation du cannabis?
La Presse est allée à la rencontre de consommateurs de longue date pour
connaître leur point de vue sur la légalisation du cannabis.
Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse
Fumer pour se relaxer
Des fumeurs réguliers nous parlent de leur consommation quotidienne de cannabis.
«Plus jeune, ça faisait partie des substances qu'on pouvait consommer pour faire la fête », dit Alain, 41 ans, au sujet du cannabis et de ses dérivés. Comme tous les autres fumeurs à qui La Presse a parlé, il a commencé à fumer du pot vers 15 ou 16 ans. Puis, il est devenu un fumeur régulier. Quotidien.
Il ne consomme que du haschisch et ne recherche pas le gros effet. «Je déteste être trop stone», dit-il. Julie, 34 ans, qui fume aussi tous les jours, n'aime pas non plus «quand ça buzze» et préfère un effet plus doux. Janie fume aussi «tous les jours qu'elle peut», entre autres pour calmer des douleurs chroniques. Son cas est particulier, puisqu'elle a accès à du cannabis thérapeutique et bénéficie d'un suivi professionnel.
Moment de détente
Fumer ne veut pas dire se défoncer à tout coup. Richard, 38 ans, fume pour se relaxer, comme d'autres prennent un verre de vin. Il rentre du travail, démarre son souper, et quand il s'assoit, il a un joint dans la main. «Pour faire le vide dans ma tête», précise-t-il. «Le soir, ça fait du bien, dit Julie. Je suis de nature hyperactive, j'aime bouger, et avec le temps, je me suis rendu compte que ça me fait bien dormir.» Alain, lui, parle de sa consommation comme d'un «mode de vie». Josée est plus crue: «C'est plate, mais je suis tombée dans une routine, dit la mère de famille, qui fume tous les jours en rentrant du travail. Il faut admettre que le cannabis, oui, ça rend accro.»
Dépendant au cannabis?
«Ça n'a jamais affecté ma vie», dit Pierre-Luc au sujet de sa consommation quotidienne de cannabis. Josée dit aussi qu'elle «fonctionne très bien» et raconte avoir complètement arrêté lors de ses deux grossesses. «C'est un sacrifice que j'ai fait pour mes enfants, et j'étais capable de le faire», dit-elle. Comme Julie, elle a fumé un peu en allaitant, mais pas régulièrement. Alain est conscient de vivre une forme de dépendance psychologique, mais affirme aussi pouvoir arrêter pour de courtes ou de longues périodes.
«Les quatre premiers jours, j'y pense», avoue-t-il. Après, ça passe, et il dit pouvoir s'abstenir pendant des semaines, voire des mois. Janie estime sa consommation «très adaptée» à sa condition depuis qu'elle a accès à du cannabis thérapeutique, à des produits de qualité et à des informations éclairantes. «Je ne fume pas plus, pas moins, mais je fume mieux», résume-t-elle.
Sur la légalisation
«Ça ne changera rien pour moi», estime Richard lorsqu'il réfléchit à la légalisation. Socialement, toutefois, il envisage les choses positivement: la fin de la lutte contre la marijuana permettra, croit-il, d'affecter les ressources policières et judiciaires ailleurs et de «dépenser moins pour combattre la criminalité». Il croit d'ailleurs que les gens qui s'inquiètent de la légalisation du cannabis «ne savent pas c'est quoi». Julie aimerait que «les gens arrêtent de voir [le cannabis] comme une drogue dure et qu'ils cessent de penser que ça mène directement à l'héroïne».
Janie craint une dérive commerciale qui inciterait les producteurs à privilégier l'efficacité du produit et le profit. Elle juge essentiel d'informer les gens sur les produits et croit aussi que la vente doit être encadrée et contrôlée, «un peu comme l'alcool et les médicaments». «Il est temps qu'on arrête d'être hypocrite», estime pour sa part Alain, qui juge que si l'alcool est légal, l'illégalité du cannabis - moins nocif globalement, à sa connaissance - n'a aucun sens. «On cherche du fric. Là, il y en a un paquet.» Sans compter que la légalisation pourrait permettre de mieux contrôler la qualité du produit et ses effets, selon lui.
Une «SAQ du pot»?
Un joint, c'est juste un joint? Pas si sûr. «Avec les années, le pot est devenu de plus en plus fort», a constaté Julie. Une légalisation du cannabis l'inciterait d'ailleurs à faire pousser ses propres plans, pour avoir un meilleur contrôle de ce qu'elle consomme. Alain voit aussi d'un bon oeil l'établissement de boutiques où les consommateurs pourraient choisir leur marijuana en fonction de son taux de THC (l'un des ingrédients actifs du cannabis). «On pourrait choisir son intensité au même titre qu'on choisit sa palette de goût à la SAQ», convient Julie. Richard, lui, aborde la chose sous l'angle économique: ce qui dictera son choix, c'est le prix. Il ira vers le rapport qualité/prix qui lui convient le mieux, que la formule soit légale ou pas.
Un joint au volant?
Après l'alcool, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) s'est attaquée à la conduite automobile sous l'effet du cannabis. Sa récente publicité met l'accent sur l'allongement du temps de réaction au volant. «J'ai ri dans ma barbe», dit Richard, qui affirme se sentir «plus concentré» lorsqu'il a fumé avant de conduire et assure très bien connaître ses limites. «L'annonce où ils ont l'air d'avoir fumé du LSD? demande Josée, lorsqu'on évoque la publicité. Ce n'est pas ça pantoute.
Quand tu as consommé du cannabis, on dirait que tu roules à 10 km/h. Tout est plus smooth, tu es moins stressé.» Elle fait une distinction entre les jeunes consommateurs et «quelqu'un comme [elle], de réfléchi». Alain ne voit pas les choses comme ça. «Une fois, j'ai conduit avec un joint dans le corps et ç'a été mon moment le plus effrayant sur la route, raconte-t-il. J'avais beaucoup de difficulté avec mes perceptions. Je roulais beaucoup trop lentement et j'avais encore l'impression d'aller trop vite. Je trouve ça plus dangereux [que l'alcool].» Richard n'en démord pas: «L'alcool m'inquiète beaucoup plus.» Que le pot soit légal ou pas, il croit que ceux qui conduisent déjà sous influence vont continuer, tout comme ceux qui s'abstiennent.
Le profil des fumeurs
Des fumeurs réguliers nous parlent de leur consommation quotidienne de cannabis.
Julie, 34 ansOstéopathe
Fume tous les jours depuis environ 20 ans. Fume surtout le soir, pour se relaxer et s'endormir.
Richard, 38 ansGestionnaire en entreprise
Fume tous les jours depuis 18 ans.
Fume après le travail, pour faire le vide.
Alain, 41 ansÉbéniste
Fume tous les jours depuis au moins 15 ans. Fume surtout le soir, toujours seul.
Josée, 36 ansCuisinière
Fume tous les jours depuis plus de 15 ans. Fume après le travail, en fin d'après-midi, et en soirée.
Janie, 34 ansInfirmière
Fume tous les jours, ou presque, depuis plus de 15 ans. Fume hors du travail, notamment pour calmer des douleurs chroniques.
* Afin de préserver l'anonymat des personnes interviewées dans le cadre de ce reportage, des prénoms fictifs ont été utilisés.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Légaliser pour mieux consommer?
«Il y a énormément de parallèles à faire» avec la consommation d'alcool, dit Jean-Sébastien Fallu au sujet du cannabis. Chaque substance est unique, précise le professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal et directeur de la revue Drogues, santé et société, mais le geste de fumer un joint en rentrant du boulot, même quotidiennement, ressemble beaucoup à celui de déboucher une bière ou de se servir un verre de vin dans des circonstances semblables.
Une portion «non négligeable» d'utilisateurs de cannabis l'intègrent dans leur quotidien sans en consommer de grandes quantités, selon lui. Comme pour l'alcool. «Les motifs de consommation sont tout à fait semblables», dit ce spécialiste, tout en soulignant que chez certains, boire ou fumer peut devenir une nécessité, voire une forme d'automédication pour gérer des émotions négatives.
Aucun des fumeurs réguliers de cannabis interrogés par La Presse n'a évoqué de problèmes de fonctionnement liés à sa consommation. Certaines personnes peuvent en consommer tous les jours, toute leur vie, sans avoir de conséquences, convient Jean-Sébastien Fallu. Une consommation qui ne cause pas de problèmes pour l'un n'est pas forcément indiquée pour l'autre, toutefois.
«Ce qu'il faut regarder, c'est l'interaction entre la substance, l'individu et son contexte.»
L'âge du début de la consommation régulière de cannabis semble avoir un impact sur la relation qu'on entretient avec la substance. «Ce qu'on voit, c'est que les gens qui fument tous les jours et qui demeurent hautement fonctionnels n'ont probablement pas commencé à fumer du cannabis tôt à l'adolescence», dit Nathalie Castellano Ryan, aussi de l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Après l'âge de 16 ans, les risques d'en faire une habitude néfaste diminuent, selon elle.
Tracer la ligne
Où tracer la ligne entre une consommation inoffensive et problématique? «Le critère numéro un, c'est de voir s'il y a des conséquences significatives sur le comportement psychosocial. Est-ce que la consommation commence à faire souffrir la personne elle-même ou son entourage? C'est ça qui devrait allumer certaines lumières.»
Jean-Sébastien Fallu préfère d'ailleurs parler d'habitude lorsque la consommation ne correspond pas à une dépendance au sens psychiatrique du terme. «Même dans le cas des drogues les plus addictives comme la cocaïne et les méta amphétamines, même pour l'héroïne, ce n'est même pas 50% des gens qui sont considérés comme dépendants au sens psychiatrique du terme», ajoute-t-il.
Légaliser le cannabis pourrait avoir des répercussions positives pour le consommateur, croit le chercheur. En ce moment, le fumeur de pot ne connaît pas la puissance de la drogue qu'il a en main avant de l'essayer. Un buveur de bière, par contre, peut facilement doser sa consommation s'il sait que sa bière compte 9,5% d'alcool et non seulement 5%. L'étiquetage, prévu dans le projet de loi sur la légalisation du cannabis, pourrait ainsi s'avérer très utile.
«Le marché noir encourage des produits toujours plus puissants. Un marché légal pourrait peut-être répondre à une demande de produits moins forts, estime Jean-Sébastien Fallu. Il y a des gens qui aiment fumer une fois de temps en temps pour avoir un petit feeling, mais pas être intoxiqués.» Afficher la teneur en THC sur les produits vendus légalement «pourrait permettre aux gens de mieux choisir leurs produits et de mieux consommer».
Source: lapresse.ca
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