Le canadien Tilray, poids lourd du cannabis thérapeutique, a inauguré fin avril au Portugal sa première unité de production européenne.
Photo: Un employé vérifie les plants dans une serre au Portugal. (Pedro Fiuza/Sipa pour le JDD)
Sourire radieux et costume soigné, Brendan Kennedy saisit les ciseaux pour couper le ruban disposé devant la porte de ses nouveaux locaux. Il égrène fièrement les chiffres – 75.000 mètres carrés, 20 millions d'euros d'investissement – avant de se tourner vers un petit drapeau portugais, qu'il soulève théâtralement pour dévoiler une discrète plaque "Tilray, EU Campus". Rien qui déroge aux codes d'une inauguration d'usine. Si ce n'est que d'un entrepôt, à quelques dizaines de mètres de là, émane malgré la cloison une odeur à la fois âcre et fruitée, indescriptible mais reconnaissable entre toutes.
A Cantanhede, on cultive le cannabis au grand jour. Voici trois ans que cette ville de 35.000 habitants, à mi-chemin entre Lisbonne et Porto, a été élue pour accueillir l'unité de production. Plus si subversive, en fin de compte, à mesure que les pays d'Europe basculent vers la légalisation de la marijuana médicinale. Une évolution que Brendan Kennedy flaire et anticipe depuis une décennie. Tilray, l'entreprise canadienne dont il est le PDG, fut déjà le premier producteur nord-américain à exporter ses produits cannabinoïdes sur le sol européen, en 2016 en Croatie. Le groupe espère faire du Portugal une nouvelle plaque tournante vers le reste du continent, jugé le plus prometteur parmi les nouveaux marchés, et le plus à même de concrétiser les espoirs fous soulevés par cette industrie.
A Wall Street, l'action s'envole de 900%
Tilray est un cas d'école de la bulle "cannabusiness" qui enfle sur les marchés boursiers nord-américains. Après son entrée à Wall Street en juillet dernier – une première pour un producteur de cannabis –, le groupe a vu son action s'envoler de 900% en trois mois. La raison? Son talent pour placer ses pions sur l'échiquier mondial de la légalisation. "Je parcours 300.000 miles aériens par an, 12 fois le tour du monde, raconte le PDG. Ce n'est pas une industrie dans laquelle on pénètre en restant derrière son bureau." Dans cette activité aussi florissante qu'incertaine, les investisseurs comme Brendan Kennedy jouent les prophètes : "L'enjeu est de prédire, pour chaque pays, si la légalisation va survenir – et quand."
En novembre 2015, l'homme d'affaires s'est envolé pour Berlin afin de s'entretenir avec des activistes, des parlementaires et des équipes médicales. "Le lendemain, on a commencé à embaucher des gens sur le terrain." Du lobbying? De l'anticipation, corrige-t-il. "Il serait idiot de dépenser de l'argent dans quelque chose qui est déjà en train d'arriver." En janvier 2017, l'Allemagne a légalisé la marijuana comme traitement de certaines pathologies.
Un agent en France pour "sensibiliser" les médecins
À l'heure de prendre les paris, Tilray a un temps fantasmé sur l'élaboration d'un modèle qui permettrait de prédire les prochaines vagues de libéralisation. En est ressorti un outil à 99 entrées, parmi lesquelles la religion dominante ou le statut du mariage homosexuel. Mais, admet volontiers Brendan Kennedy, c'est plus compliqué que cela. "En ce qui concerne l'usage thérapeutique, la communauté médicale pèse fortement, ainsi que les représentations globales qu'ont les gens du cannabis. La France semble évoluer plus vite que je ne le croyais." D'où l'embauche toute récente d'un nouvel employé, chargé de "sensibiliser les médecins généralistes" aux bienfaits de la marijuana.
Épilepsie, syndrome post- traumatique, nausées dues à la chimiothérapie : les pistes d'utilisation sont multiples. Les cannabinoïdes extraits de la plante sont non stupéfiants et non psychotropes. À chaque pathologie son conditionnement – fleurs séchées, gélules, huile –, tous testés et empaquetés sur le campus de Cantanhede. L'usage récréatif peut-il fournir, plus tard, un autre marché? Brendan Kennedy grimace. "Il devient de plus en plus dur de résister à la légalisation du cannabis médical. Dans quelques années on comptera 50, 60, 70 pays l'autorisant. Pour la marijuana récréative, on prévoit 20 nations maximum dans cinq ans." Pas de quoi intéresser le businessman, qui n'insulte pourtant pas l'avenir : "Nous ne sommes qu'au premier jour de cette industrie."
Source: lejdd.fr