Tribune
Pr Jean-Pierre Pujol, Pr émérite de l’université de Caen, membre du Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (C.N.P.E.R.T).
- La Croix
- le 06/05/2019 à 14:31
À l’heure où le marché florissant du cannabis suscite la convoitise de lobbys sans scrupule qui prêchent pour sa légalisation, il est urgent de rappeler quelle est la situation de ce fléau dans notre pays et les ravages qu’il génère chez nos ados.
Le cannabis n’est pas une « drogue douce », comme certains voudraient le faire croire à notre jeunesse. Déjà 300 000 enfants de 12 à 15 ans ont expérimenté ce produit et souvent son usage est associé au tabac et à l’alcool, ce qui aggrave encore les méfaits sur l’organisme.
Il faut savoir que la consommation du cannabis est responsable de 300 morts de la route et que le risque d’accidents mortels est 14 fois plus grand lorsque l’alcool est associé.
De plus, les troubles physiques et psychiques sont nombreux, menant souvent à la violence, à une forte tendance suicidaire et parfois même à la schizophrénie. À cet égard une étude Néo-Zélandaise montre que sur 1 000 adolescents qui avaient commencé à consommer au collège, 100 d’entre eux (10 %) étaient devenus schizophrènes à 18 ans.
Perte irréversible du Quotient Intellectuel
Fumer du cannabis provoque une perte d’attention chez les élèves, une difficulté à suivre les cours, à mémoriser les données, et compromet gravement le parcours scolaire. Les enseignants nous disent qu’ils ont affaire à des individus complètement apathiques, démotivés et parlent de la « drogue de la crétinisation ». Une perte irréversible de 9 points de Quotient Intellectuel (Q.I.) est d’ailleurs observée chez les consommateurs permanents.
Ce tableau ne fait que s’assombrir avec l’augmentation du taux de THC (tétrahydrocannabinol) dans les produits actuels. Il faut ajouter que l’addiction au cannabis, surtout lorsqu’elle apparaît très tôt chez les adolescents, conduit parfois à la recherche de drogues encore plus néfastes, comme la cocaïne et l’héroïne.
Comment, dès lors, peut-on plaider en toute conscience pour une légalisation du cannabis dans notre pays ? L’argument de certains serait d’invoquer les vertus thérapeutiques potentielles de cette drogue, et c’est le truchement par lequel sont passées les nations qui ont choisi cette option, comme le Canada récemment. Mais les données expérimentales dont nous disposons actuellement ne permettent pas de considérer le cannabis comme un médicament car il se montre très inférieur aux substances déjà mises sur le marché et utilisées dans les pathologies concernées, avec par contre des effets secondaires importants, notamment sur la sphère cardio-vasculaire. On peut admettre que les recherches sur certaines substances présentes dans la feuille de cannabis puissent se poursuivre mais ceci n’implique pas pour autant de passer à la légalisation.
Une crise sanitaire nationale
Contrairement à des pays comme la Suède, qui a mis en place une politique efficace de lutte contre la toxicomanie, basée à la fois sur la répression et sur la prévention, les pouvoirs publics français ne se montrent pas à la hauteur d’un problème qui s’apparente à une crise sanitaire nationale. D’ailleurs, la France est classée en tête des 28 états européens pour la consommation de cette drogue. Combien de temps faudra-t-il pour que l’on prenne conscience de l’urgence d’intégrer dans les programmes scolaires, et ce dès l’école primaire, une information auprès de nos enfants sur les dangers de cette drogue « lente » ? Il faut absolument que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, associé à la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, mette en place de façon urgente un plan scolaire d’information dont l’exécution serait supervisée en région par les recteurs d’académie.
Des structures d’accueil pour les parents
Enfin, avec la demande pressante de nos concitoyens d’une plus grande proximité des services publics, il serait intéressant de prévoir des structures d’accueil pour les parents touchés par ce problème et qui vivent un drame familial de façon silencieuse. Ces derniers, bien souvent considèrent comme déshonorante la situation de leur enfant atteint par le fléau et refusent d’en parler. Ils ne savent pas à quel service s’adresser pour trouver des spécialistes qui soient à l’écoute et leur permettent de « tirer d’affaire » leur enfant. Seul un soutien médical et familial peut laisser espérer un retour à la normale avant qu’il ne soit trop tard. Pourquoi ne pas prévoir de telles structures au sein des maisons « France Services » proposées par le président de la République ?