La question n'est pas de savoir si on est pour ou contre les drogues mais quelles solutions permettent d'en consommer le moins possible et dans les conditions les moins dangereuses possibles.
Ueslei Marcelino / Reuters
Une femme fume du cannabis lors d'une manifestation au Brésil.
D'après un sondage récent réalisé par l'Ipsos, un Français sur deux serait favorable à la légalisation du cannabis et souhaiterait que cette question soit abordée pendant la campagne présidentielle.[1]
Toutefois les hommes et les femmes politiques ne prennent que rarement position sur le sujet, et quand ils le font c'est en général, à l'instar de Ségolène Royal ou de Valérie Pécresse, pour clamer leur opposition à toute évolution de la législation. Et pourtant toutes les familles françaises, d'hommes et de femmes politiques compris, sont concernées par ce problème.
La France : championne des fumeurs de joints
La France est, avec la république Tchèque, le pays d'Union-Européenne où l'on consomme le plus de cannabis : 39% des 15-16 ans l'ont déjà expérimenté et plus de 11% de la population âgée de 15 à 65 ans en a consommé au cours de l'année écoulée. En même temps la France est le pays d'Europe qui procède au plus grand nombre d'interpellations pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, 216 000 en 2014, majoritairement pour usage de cannabis.
Ces interpellations contribuent à l'encombrement des services de police et de justice. Par exemple 15 % des détenus français sont en prison pour une infraction à la législation sur les stupéfiants. Ainsi la dépense publique engagée par l'État et l'Assurance maladie pour lutter contre les drogues illicites est estimée par Pierre Kopp à 2,4 milliards d'euros en 2010.[2]
Ces coûts recouvrent essentiellement les dépenses liées à la répression, en particulier les actions policières et judiciaires. Et face à ces coûts, aucune rentrée fiscale puisque les trafics sont clandestins et ne donnent lieu à aucune taxation.
La prohibition : une politique de l'offre
La politique française concernant les psychotropes vise à leur éradication par le biais de leur prohibition. Elle prend corps en 1961 avec la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies et est popularisée en 1971 par Richard Nixon sous l'intitulé de "guerre à la drogue". Cette "guerre" sera reprise et amplifiée par Ronald Reagan, qui mettra en œuvre une politique répressive sans précédent.
Pour éradiquer la drogue de la société américaine il va en criminaliser l'usage, notamment via la Convention de l'ONU de 1988, dont la France est signataire. Le résultat de cette politique est un échec. Non seulement le marché des stupéfiants ne va pas disparaître, mais la consommation de drogue va même augmenter pendant cette période, sans parler de l'explosion des coûts liés à la répression que doivent financer les contribuables.
Ainsi, c'est sous la présidence de Reagan que le nombre d'incarcérations liées au trafic, et surtout à l'usage de stupéfiants va exploser aux Etats-Unis. Ils ont depuis le plus haut taux d'incarcération au monde : 1 adulte sur 110 y croupit en prison.
L'échec de la guerre à la drogue
Comme supprimer l'offre légale de stupéfiants n'a jamais supprimé la demande, la prohibition a favorisé l'émergence du crime organisé mondial. Le trafic de drogue est en effet sa première source de revenu, évalué à 870 milliards de dollars en 2009.
Il corrompt la finance mondiale par des opérations de blanchiment de grande envergure. Il engendre dans les pays producteurs instabilité, assassinats, guérilla et corruption. La prohibition est à l'origine de violations massives des droits de l'homme à l'échelle de la planète, sans parler des problèmes de santé publique (overdose, épidémie de sida...) et de coûts fiscaux exorbitants.
Plusieurs pays souhaitent en finir avec la guerre à la drogue, qui comme pour la prohibition de l'alcool, a créée plus de problèmes qu'elle n'en a résolus. Ainsi plusieurs états américains, dont celui du Colorado, ont récemment autorisé l'usage du cannabis récréatif. Contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, sa consommation n'a pas explosé. En revanche le marché des dealers a commencé à s'effriter, étant remplacé par des achats légaux, avec en bonus une fiscalité florissante.
Les politiques de la demande : légalisation et répression
La question n'est pas de savoir si on est pour ou contre les drogues mais quelles solutions permettent d'en consommer le moins possible et dans les conditions les moins dangereuses possibles. Or les politiques de tempérance efficaces sont celles de gestion de la demande, comme en attestent les expériences menées avec le cannabis aux Pays-Bas ou l'alcool dans notre pays. Un monopole d'État sur la distribution, à l'instar du tabac, permettrait de contrôler la disponibilité et la qualité des produits dans des officines dédiées.
En particulier la vente aux mineurs doit être interdite et lourdement sanctionnée. Cela permettrait aussi d'appliquer une fiscalité spécifique. Ainsi 80% du prix d'un paquet de cigarette est constitué de taxes. Il faut que le cannabis soit lui aussi fortement taxé. Il faut également définir les contextes dans lesquels on peut fumer, et ceux dans lesquels c'est interdit, comme par exemple avant de prendre le volant, et finalement mettre en place des campagnes d'information centrées autour de faits objectifs. L'autre volet d'une politique de légalisation réussie est la répression du marché parallèle.
Légalisation et répression sont deux politiques publiques qui sont complémentaires. Pour pouvoir assécher la demande des réseaux criminels, tout en maintenant des prix élevés, il est indispensable de réprimer l'offre illégale en s'attaquant aux dealers et à leurs clients. Ces derniers doivent comprendre qu'à partir du moment où on peut acheter légalement du cannabis, se fournir au marché noir est sévèrement puni.
Pour faciliter l'éviction du crime organisé il est souhaitable d'appliquer au départ une fiscalité modérée, puis de relever les prix pour faire baisser les consommations, une fois le marché monopolisé par l'Etat.
[1] Sondage réalisé par internet du 27 au 29 septembre auprès de 1097 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 16 ans et plus à la demande de SOS Addictions, du LIEPP de Sciences Po et du Cnam.
[2] «Le coût social des drogues en France», Note 2015-04 Saint-Denis, le 10 septembre 2015 Pierre Kopp
Pour en finir avec les Mafias - Sexe, drogues, clandestins: et si on légalisait?, de Emmanuelle Auriol aux éditions Armand Colin. 16,90€
Par Emmanuelle Auriol Professeur à la Toulouse School of Economics
Source: huffingtonpost.fr