La politique est un sport de combat Pendant toute la campagne, Michel Henry se mue en entraîneur pour coacher les candidats à la présidentielle.
Par MICHEL HENRY
Les sondages le disent: Eva Joly fait la course en solitaire, loin derrière le peloton. Avantage: elle peut parler de choses sérieuses. Inconvénient: personne ne l'écoute. Dommage, car certaines mesures méritent qu'on s'y arrête. Comme la légalisation du cannabis, qui permettrait de «saper l'économie parallèle à la base» et de lutter contre le trafic d'armes, a-t-elle expliqué le 23 mars. Selon la candidate EELV, une légalisation serait «un premier stade qui permettrait de régler beaucoup de problèmes dans nos cités de banlieue».
L'idée n'est pas idiote. Elle consiste à expérimenter un marché officiel, réglementé et surveillé du cannabis, pour casser le marché noir, source de violences. Le concept est porté par des gens crédibles, comme Kofi Annan, ex-secrétaire général de l'ONU, cinq anciens présidents d'Amérique latine, ou Daniel Vaillant (PS). Il se base sur un constat: la prohibition du cannabis est un échec.
Malgré l'interdiction, la consommation ne faiblit pas, le trafic non plus, qui rend la vie impossible dans certaines cités, et enlève la vie de jeunes gens via des règlements de compte. Souvenons-nous de la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis dans les années 1920: elle a été abandonnée car elle créait plus de problèmes qu'elle n'en résolvait. La situation est similaire aujourd'hui en France avec le cannabis.
«Droguez-vous...»
Cette question mérite d'être débattue. Mais, comme souvent dans cette campagne, les sujets sérieux sont balayés sous le tapis. «Raisonnement léger mais surtout pervers», a dénoncé Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy. «Totalement irresponsable et démagogique», a affirmé Éric Ciotti (UMP). Selon lui, «légaliser le cannabis reviendrait à dire aux Français: "Droguez-vous en toute tranquillité, vous ne risquez rien".»
Et le PS? Légaliser n'est pas une proposition du candidat, s'est empressé d'indiquer un porte-parole, Bruno Le Roux: «Ces idées ont été évoquées avec quelques différences par Daniel Vaillant dans un rapport fait il y a presque un an (...). Alors est-ce que c'est la seule, la bonne solution, il faut réfléchir.» François Rebsamen, chargé de la sécurité chez Hollande, «est en train de travailler à cette question à partir du rapport» Vaillant. Message du PS: renvoyons ceci à plus tard, comme toutes les questions sensibles.
D'autant que François Hollande est pour que «l'interdit demeure». Il est néanmoins porteur d'une avancée dans le domaine des drogues illégales, hors cannabis, qu'il a livrée presque en catimini: il soutient l'installation expérimentale de «salles de consommation», à Paris et Marseille, où les usagers de drogues par intraveineuse pourraient consommer dans des conditions d'hygiène acceptables.
Ces salles existent dans plusieurs pays européens, qui constatent grâce à elles un progrès en matière de santé publique. En France, elles sont tabou. L'UMP n'en veut pas. Le PS permettrait au contraire qu'on les essaye. C'est un début, dans un domaine, la gestion des drogues illégales, où la France souffre d'un grand retard.
Les candidats ignorent ce sujet auquel ils ne connaissent pas forcément grand chose. La campagne pourrait servir à améliorer leurs connaissances, et les nôtres. Dans un livre pragmatique qui vient de sortir, un avocat, Francis Caballero, explique comment légaliser le cannabis («Legalize it !», L'esprit frappeur, 10 euros). Les candidats peuvent s'y reporter, pour nourrir un débat. Mais qui en veut? Pas grand monde. Sauf Eva Joly, qui continue de courir, solitaire, derrière le peloton.
Source: Libération