Changement de majorité présidentielle oblige, le vieux débat sur la légalisation du cannabis a refait surface. Les arguments en présence sont toujours les mêmes. Est-il possible de sortir de cette confrontation par une politique innovante ?
Selon les partisans de la dépénalisation, les drogues illégales posent de graves problèmes de santé publique. Les légaliser permettrait d'économiser le coût de la répression en éliminant les mafias, et générerait des recettes fiscales supplémentaires.
Les partisans de la prohibition insistent quant à eux sur les ravages engendrés par la consommation de drogue et s'insurgent contre l'encouragement implicite que représenterait une politique de légalisation. Les Français donnent d'ailleurs massivement raison à ces derniers : selon un récent sondage IFOP, ils sont 70 % à être opposés à la légalisation, en hausse par rapport à 2011.
Pourtant les politiques actuelles qui combinent prohibition et répression sont impuissantes à éliminer les mafias. Au regard des coûts de la répression, de l'ordre de 42 milliards de dollars (34,3 milliards d'euros) par an aux Etats-Unis, selon Jeffrey Miron et Katherine Waldock (The Budgetary Impact of Ending Drug Prohibition, Cato Institute, septembre 2010), beaucoup pensent que la guerre contre la drogue est un échec. Le problème, c'est que les effets de politiques alternatives, telles que la légalisation, sont inconnus.
Une étude récente (Sale of Visas : A Smuggler's Final Song ?, Emmanuelle Auriol et Alice Mesnard, Center for Economic Policy Research, document de travail, mai 2012) élabore, à propos du marché criminel de l'immigration clandestine, un modèle de légalisation pouvant être utilisé pour éliminer une mafia.
UN PRIX SUFFISAMMENT BAS
L'étude montre qu'on ne peut pas gagner sur tous les tableaux à la fois. Si on veut éliminer les trafiquants en légalisant le cannabis, par exemple, ces derniers ayant des réseaux bien établis, ils livreront une bataille de prix pour conserver leurs parts de marché.
Le seul moyen de les détruire est alors d'établir un prix suffisamment bas pour assécher la demande qui leur est adressée. Le gouvernement est ainsi contraint de limiter le poids de la fiscalité afin de pousser les dealers hors du marché. On se trouve alors face à un dilemme : éliminer les trafics, ou contenir les consommations.
Une politique plus innovante, qui combinerait mesures répressives avec une politique de légalisation au prix d'éviction, permet d'échapper à ce dilemme. L'idée est d'utiliser les recettes fiscales générées par la légalisation pour intensifier la répression contre les réseaux mafieux.
En augmentant leurs coûts, on limite leur capacité à casser les prix. On ne réalise certes pas les économies fiscales promises par les partisans de la légalisation, mais on limite le poids des mafias tout en contenant les consommations.
Une telle politique est-elle applicable ? Oui, si on se fie à l'exemple des Pays-Bas qui tolèrent la consommation de cannabis chez ses ressortissants et ont, en même temps, le plus gros budget de répression d'Europe (0,66 % de son produit intérieur brut contre 0,08 % pour la France en 2000).
Pour les jeunes Néerlandais, les bénéfices sont doubles. Ils fument moins de cannabis que les Espagnols, les Anglais ou les Français, et ils ne courent pas le risque de croupir en prison pour leur consommation.
Par Emmanuelle Auriol, Ecole d'économie de Toulouse
Crédits photo: Jerry Lampen/Reuters
source: Le Monde