Malgré le contexte américain ou cinq Etats veulent légaliser l'usage du cannabis, ce produit de synthèse reste nocif, à plus d'un titre. Des études récemment publiées aux Etats-Unis font désormais état des risques pour le bon fonctionnement du muscle cardiaque. Au vue de l'étendue de son usage et les tranches d'âge concernées des problème vont survenir dans un avenir proche.
Le cannabis fumé expose au risque d'altérations de l'arbre vasculaire artériel
comme toute inhalation de produits de la pyrolyse (tabac, exposition professionnelle non protégée...).
Les goudrons, les carcinogènes et d'autres produits sont impliqués.
Atlantico : Des études scientifiques récemment publiées aux Etats-Unis montrent que la consommation de cannabis peut avoir un effet sur le coeur et provoquer notamment des cardiomyopathie. Que nous apportent ces résultats concrètement ? En quoi nous permettent-ils de mieux comprendre les effets du cannabis ?
Guy-André Pelouze : Pour comprendre comment le cannabis fumé peut avoir des conséquences sur le système cardiovasculaire il faut tout d'abord expliquer qu'il s'agit de l'inhalation de la fumée d'une pyrolyse végétale. La pyrolyse est la décomposition (ou thermolyse) d'un composé organique par une augmentation importante de sa température pour obtenir d'autres produits ou libérer des molécules actives dans la fumée.
Le végétal en question, feuilles et efflorescences de cannabis sativa contient bien évidemment des matières organiques qui lorsqu'elle brûlent à haute température produisent des carcinogènes notamment des benzopyrènes et par ailleurs des cannaboïdes (présents dans la résine) en particulier le tétrahydrocannabinol.
Ces cannaboïdes passent dans la circulation pulmonaire en arrivant dans les alvéoles du poumon puis dans la circulation systémique celle qui se rend aux organes, en particulier le cerveau, mais aussi tous les autres. Les cannaboïdes ont des récepteurs dans le cerveau et leur molécule est suffisamment petite pour traverser la barrière hémato-encéphalique qui "protège" le cerveau de molécules indésirables. Il y a plusieurs décennies que des cas sporadiques de cardiomyopathie reversible ou non ont été décrits chez des fumeurs de cannabis. Des publications plus récentes ont confirmé cette toxicité.
De quoi s'agit il? Le muscle cardiaque est extrêmement endurant puisqu'il peut à la fois se contracter et se relâcher sans arrêt pendant toute la vie mais aussi augmenter immédiatement son activité (fréquence des contractions et force de celles ci) en fonction de la demande du corps (exercice, digestion...). Il dispose pour ce faire d'une usine à énergie rapide très performante la mitochondrie située dans chacune des cellules.
Cette mitochondrie est altérée par de nombreux toxiques récréatifs : alcool, cocaïne, méthamphétamine, ecstasy, cannaboïdes. D'une manière générale ces molécules altèrent de manière aiguë ou chronique la mitochondrie et privent le muscle cardiaque d'énergie entraînant son affaiblissement. Le débit cardiaque diminue jusqu'à mettre en danger la vie dans certains cas.
Cette atteinte peut être aiguë avec une défaillance cardiaque souvent en raison d'une consommation importante ou chronique chez des consommateurs réguliers. Il y a comme pour toute toxicité de ce type un effet dose mais aussi une plus grande susceptibilité de certaines personnes, qui est en rapport avec des différences génétiques dans la capacité à réparer les effets toxiques des cannaboïdes au niveau de la mitochondrie.
L'étude de ces cas a permis d'aller plus loin. Il y a deux types de récepteurs aux cannaboïdes. Le CB1 et le CB2 et c'est par l’intermédiaire de ces récepteurs que les cannaboïdes produisent leurs effets. L'activation forte du récepteur CB1 périphérique c'est à dire celui présent dans les organes autres que le cerveau est impliquée dans ces effets délétères et curieusement c'est par le même mécanisme d'activation que certaines chimiothérapies sont toxiques pour le muscle cardiaque. Il serait donc possible de diminuer la toxicité de ces chimiothérapies en bloquant ce récepteur périphérique.
Enfin il n'est pas possible de donner une probabilité du risque de ce danger. Ce qui est certain c'est que les personnes déjà cardiaques sont à plus haut risque et que la consommation concomitante de toxiques récréatifs (phénomène très fréquent) potentialise le risque.
A quels autres risques cardiovasculaires les consommateurs de cannabis s'exposent-ils ?
Le cannabis fumé expose au risque d'altérations de l'arbre vasculaire artériel comme toute inhalation de produits de la pyrolyse (tabac, exposition professionnelle non protégée...). Les goudrons, les carcinogènes mais aussi d'autres produits sont impliqués. Il s'agit d'altérations de l'endothélium, la couche de cellules plates qui tapissent tous nos vaisseaux et aussi du glycocalyx, un revêtement fibrillaire de protection de ces cellules. Ce qui se passe c'est l'accélération de processus connus comme la constitution d'une plaque d'athérome et la thrombose artérielle, c'est à dire la constitution d'un caillot qui empêche le sang de circuler.
Il est particulièrement difficile dans les études cliniques rétrospectives ou les courtes séries cliniques de faire la part des consommations de cannabis et de tabac car elles sont liées voire mêlées. Pour autant le risque d'AVC, d’infarctus ou d'occlusion d'une artère des jambes pouvant entraîner une amputation chez des sujets jeunes est bien établi. Encore une fois la probabilité est incertaine car on ne dispose pas d'études suffisamment dimensionnées pour le mesurer.
N'est-il pas étonnant alors de voir que dans plusieurs pays du monde, le cannabis à but thérapeutique soit légalisé ? Comment utiliser les propriétés analgésiques du THC sans les effets négatifs ?
Le cannabis est la drogue la plus utilisée dans le monde. Son interdiction en France où elle est en vigueur n'est pas appliquée. Il y a plusieurs conséquences en particulier la qualité des produits. L'individu consomme du cannabis en le fumant mais il ne sait rien sur sa teneur en cannaboïdes et sans filtre la quantité de goudrons qu'il inhale est importante. C'est un sujet de préoccupation majeur en santé publique.
S'agissant de l'usage médical il est très souhaitable de disposer de cannaboïdes sans être contraint d'inhaler la fumée. J'ai rappelé qu'il existe deux principaux récepteurs aux cannaboïdes et leurs actions sont inverses. Enfin les effets cérébraux sont très différents des effets périphériques. Toutes ces données rendent le sujet complexe et pour tout dire en font un véritable sujet de pharmacologie.
Des dérivés synthétiques des cannaboïdes existent. Il faut, comme pour tout médicament, qu'ils passent les étapes des études cliniques pour pouvoir les utiliser de manière efficace et sure. Dans ce domaine il ne sert à rien d'affirmer qu'il s'agit d'un produit "naturel" pour se passer des critères de sécurité habituels.
Il semble bien que nous soyons en réalité dans la même situation que celle du tabac dans les années 60. Pour le tabac, c'est l'industrie parfois nationalisée qui a occulté par tous moyens les effets sur la santé et promu la cigarette ; dans le cas du cannabis les trompettes de son innocuité supposée ont été longtemps brandies par le courant "festif", "cool" et finalement terriblement politiquement correct mais nous voyons apparaître aujourd'hui des dangers réels qui vont demander un travail de recherche de plusieurs années. Compte tenu du nombre de consommateurs et de leur âge, des fonds de santé publique devraient être consacrés en priorité à ces recherches au regard du risque qui se profile.
Guy-André Pelouze
Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.
Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.
Source: atlantico.fr